Les Messageurs se sont rassemblés à la Maison des Scop de Rennes pour deux journées…
« Vis ma vie d’interprète de l’écrit »
Lucie est interprète de l’écrit au Messageur. Voici à quoi ressemble son quotidien.
À 8h30, elle consulte son planning
Sa première mission, à 10h : sous-titrer la Commission Formation et Emploi du CNCPH, Conseil national consultatif des personnes handicapées. La difficulté ici, c’est le vocabulaire législatif et tous les acronymes liés au monde du handicap. Si Lucie n’a pas eu de formation sur le sujet, elle a néanmoins développé une réelle expertise au fil de ses interventions.
Saviez-vous par exemple que la DOETH était la déclaration obligatoire d’emploi des travailleurs handicapés et qu’ARPEJEH se prononçait « arpège » ? Connaissez-vous les accords Laforcade ? Les rapports Piveteau, Leguay ou encore Taquet-Serres ? Avez-vous déjà entendu parler des nomenclatures Serafin-PH ou des formulaires GEVA-Sco ? Autant de spécificités qu’il faut savoir orthographier rapidement et sans trembler au moment où vous les entendez !
Pour se préparer, Lucie va éplucher la documentation envoyée par le client pour repérer les termes techniques, les textes de loi et les noms propres qui pourront être évoqués pendant la commission. Temps de préparation requis ce jour-là : 1h.
Au Messageur, les interprètes de l’écrit sont des respeakers, ils dictent les propos à un logiciel de reconnaissance vocale. Le travail de préparation en amont consiste non seulement à se familiariser avec les sujets qui vont être évoqués, mais aussi à enrichir le dictionnaire du logiciel avec le nouveau vocabulaire, puis à tester les mots un à un pour vérifier qu’ils sont intégrés.
À 9h40, Lucie contacte Madeline
À 9h40, Lucie contacte Madeline, régisseuse technique au Messageur, pour s’assurer des aspects techniques de la prestation. On vérifie que la connexion Internet est bonne, que tous les participants à distance sur Zoom sont parfaitement audibles et que le sous-titrage défile de façon fluide. Le lien pour accéder au sous-titrage en temps réel est communiqué aux participants.
Il est 10h02, la vice-présidente de la commission ouvre la séance.
Une dernière gorgée d’eau avant de se lancer – il est nécessaire de rester bien hydratée pour protéger sa voix et de boire régulièrement pendant la prestation – et c’est parti !
Lucie ne dicte pas tout à fait comme elle parle. Elle ruse à l’aide de techniques de respeaking. Elle insiste sur certaines liaisons, découpe des syllabes, fait des pauses, trouve une prononciation pour certains mots qui varie de la prononciation de base. Elle sait bien gérer le timbre de sa voix. Quand certains participants s’enthousiasment, elle garde son calme pour éviter de nuire à la qualité du sous-titrage.
Tout en dictant les phrases au logiciel, elle ajoute la ponctuation pour structurer ses phrases et identifier clairement qui prend la parole, ce qui entraîne un léger décalage avec ce que dit l’intervenant qui, lui, n’a pas à se soucier de la structuration de son discours.
Lucie a l’habitude de ces prestations, elle sait gérer le stress et la fatigue liés à une concentration intense et à ce travail de l’immédiateté. Toutefois, elle passera le relais à un autre interprète au bout d’1h à 1h30 de sous-titrage.
À la fin de la réunion, la vice-présidente de la commission remercie « les vélotypistes ». Si la vélotypie n’est pas la méthode employée par Le Messageur, Lucie sait que les remerciements lui sont adressés.
Il est 11h30, elle récupère son fichier de sous-titrage
Il est 11h30, elle récupère son fichier de sous-titrage pour le passer au correcteur orthographique avant de l’envoyer au client qui en a besoin pour archivage.
Un peu avant 12h00, Lucie consulte son planning
À 13h30, elle doit assurer l’accessibilité d’une réunion pour Ambre, ingénieure qualité dans l’aéronautique. Lucie connaît bien cette bénéficiaire, ça fait déjà 4 ans qu’elle sous-titre ses réunions de travail de manière hebdomadaire. Elle sait que les échanges seront denses et techniques, avec beaucoup d’acronymes et d’anglicismes. Elle préfère donc passer ses glossaires en revue avant de prendre sa pause. La « traça », les « acceptance test reviews », l' »engineering », les « templates », les « kickoff meetings », le « SQAP », voilà les termes avec lesquels elle devra jongler. Il faudra aussi veiller à bien différencier les TRM des PRM ou des CRM, termes très proches phonétiquement et que l’oreille a parfois du mal à distinguer. Ambre tient beaucoup à ce que cette subtilité lui soit bien retranscrite, d’autant plus que les implications qui en découlent ne sont pas les mêmes. Temps de préparation : 30mn.
Il est 12h30, Lucie va déjeuner
Le travail d’interprète de l’écrit étant très sédentaire, c’est l’occasion d’en profiter pour se dégourdir les jambes et s’aérer l’esprit !
13h15, les affaires reprennent
Lucie prépare sa session pour Ambre. Cette fois-ci, la réunion se passe sur Teams. Aujourd’hui, il y a 5 participants, les échanges sont vifs, animés. Un collaborateur indien se joint à la réunion in extremis, ce n’était pas prévu et même si Lucie comprend ce qu’il dit, elle ne peut pas retranscrire ses propos. Le logiciel qu’elle utilise est configuré pour le français. Elle devra se contenter d’une mention [Propos en anglais] à chaque fois qu’il prendra la parole. C’est dommage ! Si le besoin d’un interprète anglais avait été remonté par le client en amont, Lucie aurait pu travailler avec Jodie, son homologue anglaise, qui serait intervenue pour sous-titrer les parties de la réunion en anglais. Heureusement, Albane, la collègue d’Ambre qui a été sensibilisée à la surdité, traduit oralement tout ce que dit le collaborateur indien. Ainsi, Lucie peut sous-titrer ses propos pour qu’Ambre n’en perde pas une miette.
À la fin de la réunion, Lucie échange brièvement avec Ambre. Ambre est satisfaite, la réunion s’est bien passée. À force de se retrouver virtuellement toutes les semaines, Lucie et Ambre ont développé une relation de bonne entente et de confiance. Ambre sait qu’elle peut compter sur Lucie, sa présence à travers le sous-titrage est un véritable soutien. C’est aussi ce qui fait la particularité de ce métier : c’est un métier qui a du sens au quotidien, qui crée de la valeur pour les usagers sourds, mais aussi pour les interprètes.
Il est 15h00, il faut maintenant se préparer pour la prestation du lendemain
Il est temps de se préparer pour la prestation du lendemain, la séance plénière du Conseil départemental de La Manche qui durera 4h. Il y a 54 élus dont il faut connaître les noms par cœur. Même si le conseil départemental se réunit tous les trimestres, les toponymes et noms de lieux demandent à chaque fois un gros travail de préparation en amont. Qui connaît à la fois Bretteville-L’Orgueilleuse, l’île de Tatihou, Saint-Hilaire-du-Harcouët, La Bazoge et Saussemesnil ? Sans parler des acronymes ! Savez-vous ce que signifie CENOPAC, FEAMP ou SMANM ? (Centre normand de la pêche, de l’aquaculture et de la conchyliculture – Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche – Syndicat Mixte Association Maison de la Normandie et de la Manche). À cela s’ajoute le temps de lecture des rapports envoyés par les élus. Temps de préparation : 2h30 à 3h.
18h00, fin de la journée
Le métier d’interprète de l’écrit est prenant, atypique et passionnant. La diversité des domaines d’intervention fait que chaque journée est unique. On apprend sans cesse. Il ne faut pas avoir peur d’être touche-à-tout, de se familiariser avec des sujets qu’on ne connaît pas. Si toutes ces rencontres et découvertes se font à distance, le métier d’interprète de l’écrit n’en reste pas moins un métier riche humainement et intellectuellement !